dimanche 30 mars 2008

Retour sur Terre

La ministre de l'Economie, Christine Lagarde, a affirmé ce soir que "l'objectif principal du gouvernement" pour l'avenir du site d'ArcelorMittal à Gandrange (Moselle) était de "sauvegarder les emplois".

"L'objectif principal est de sauvegarder les emplois, de faire en sorte que
tout le monde garde son job
", a déclaré Mme Lagarde sur France Inter.
"Ensuite, si on peut sauvegarder l'activité par des investissements
extérieurs, et je sais qu'il peut y avoir des partenaires privés intéressants,
notre métier, c'est de les encourager, de servir de catalyse", a-t-elle ajouté.

[Source: AFP]

Déjà, j'ai toujours du mal avec l'utilisation de termes anglais dans la bouche d'un représentant de l'Etat quand un mot français équivalent existe. Et là j'ai déjà du mal avec le terme de job !

Ensuite, sauvegarder les emplois n'est pas synonyme de donner du travail à tout le monde.

Et justement, comme ArcelorMittal propose déjà que tout le monde conserve un job, je comprends que la Ministre a été envoyée au front pour annoncer la mauvaise nouvelle, d'autant plus que les caisses de l'Etat sont mises en difficulté par le ralentissement de l'économie.
Ciao, le Fonds de Réindustrialisation. Bye bye, la participation de l'Etat dans la reprise du site de Gandrange...

Enfin, je ne cherche pas à créer de rumeur, mais juste à lire entre les lignes.
Et alors, à votre avis :
- fermeture et reclassement, comme annoncés ?
- validation et lancement d'un des deux projets alternatifs des syndicats par ArcelorMittal ?
- reprise par Zaleski, Asco-Lucchini, Tata-Corus, ou autre ?

Réponse le 4 avril.
J'espère avoir compris d'ici là pourquoi cette aciérie n'était structurellement pas rentable.

jeudi 27 mars 2008

Du gros service client !

En pleine réunion de travail, loin de chez moi, je reçois un coup de fil sur mon mobile - personne ne m'appelle jamais, sauf si c'est important ou urgent.

Je décroche.

"Bonjour, c'est Sandrine de Vivanco, vous êtes monsieur Perlade ?
- Oui, oui (?)
- Je vous appelle suite à votre message, nous avons peut-être une solution
à vous proposer"

Enorme !
Ça, c'est du gros service client !

Sandrine va m'envoyer par la Poste le clip cravate perdu... L'humanité, c'est une invention sympa !

mardi 25 mars 2008

Un pays éloigné pourtant si proche

Le coup d'oeil sur l'Histoire, le recul vers une période passée ou, comme aurait
dit Racine, vers un pays éloigné, vous donnent des perspectives sur votre époque
et vous permet d'y penser davantage, de voir davantage les problèmes qui sont
les mêmes et au contraire les problèmes qui diffèrent, ou les
solutions /.../
[Concordance des Temps, émission de Jean-Noël Jeanneney, France Culture le 2 février 2008]

A l'automne dernier a été révélée une pratique de l'UIMM - Union Industrielle des Métiers de la Métallurgie - qui a beaucoup surpris. Sous l'autorité du président et délégué général de cette puissante organisation patronale, Denis Gautier-Sauvagnac (DGS), ont été effectués depuis des années des retraits massifs d'argent liquide sur les comptes bancaires de cette instance pour un montant de 19 millions d'euros entre 2000 et 2007. L'usage de cet argent demeure, à l'heure qu'il est, mystérieux.

Lors de sa garde-à-vue, DGS a déclaré que ces sommes étaient allées "aux représentants des organismes participant à la vie sociale de notre pays", probablement les syndicats de salariés. Ces syndicats ont vigoureusement démentis - mais comme l'aurait fait n'importe quelle partie prenante d'une telle affaire. Selon le Figaro, DGS aurait déclaré qu'il s'agissait "d'une pratique ancestrale, historique et discrète, et que nul n'aurait intérêt à procéder à un grand déballage".
Il y a là de quoi trouver de nombreuses résonnances avec les curiosités qui entourent le rôle de l'argent du patronat dans la vie ancestrale de la IIIème République.

"Vous savez, cette affaire, ça me fait le même effet que ce qu'on appelle
parfois les secrets de famille. C'est quelquechose que nous ignorions
totalement, et en même temps, que probablement beaucoup savait inconsciemment.
Nous sommes aussi libérés de cette révélation. Et pour moi, ça me fait le même
effet qu'une nouvelle vie qui commence."
[Laurence Parisot, présidente du Medef, France Inter le 16 octobre 2007]

Les dirigeants de premier plan des organisations patronales ne devaient pourtant pas ignorer ces pratiques. Ils n'ont certainement pas voulu en savoir plus. Car ce n'est pas quelque chose de nouveau, que l'on découvre. Cela date de l'invention du capitalisme, plus précisément de cette collusion entre capitalisme et démocratie parlementaire qui a eu lieu au XIXème siècle.

Nous sommes désormais certains que DGS ne dira rien et gardera son boeuf sur la langue. Il a d'ailleurs assuré que les comptes qui gardaient la trace de cet argent ont été brûlés.

L'Histoire nous éclaire.

Déjà, Alfred Mascuraud, sénateur de la Seine des années 1900, président du Comité Républicain du Commerce et de l'Industrie, ne se cachait pas de financer des groupes parlementaires. Lors d'un des banquets organisés par ce comité, M. Mascuraud disait "Nous, nous vous fournissons les torpilles qui vont vous permettre de défendre le monde industriel". Enfin, plutôt une certaine conception du monde économique, d'ailleurs plus proche des petites entreprises que du grand patronat, des grandes sociétés multinationales que nous connaissons aujourd'hui.
http://www.annales.org/archives/x/peyerimhoff.html

Il y a aussi eu une commission d'enquêtes parlementaire qui dévoile en 1925 tout un système de financement transitant par l'Union des Intérêts Economiques, qui draine les fonds d'une bonne demi-douzaine de grandes fédérations professionnelles vers le monde politique.

André Boutemy, le financier du CNPF dans les années 1950, ne se cachait pas de pouvoir maîtriser le jeu des élections de 1946 et 1951.

En d'autres temps, pendant le Front Populaire, le financement de partis d'extrème-droite comme le Parti Populaire Français de Doriot, par un certain nombre d'organisations patronales - le Comité des Forges, le Comité des Houillières de France, l'Union des Industries Métallurgiques et Minières - ou d'organismes périphériques tels que le Redressement Français est attesté par diverses archives.

Les caisses des comploteurs de la Cagoule ont été alimentées par Michelin et les huiles Lesieur ! Cagoule qui a d'ailleurs commis un attentat au siège du CGPF, ancètre du CNPF, en 1937, paradoxalement. On sent bien alors le manque de cohésion du groupe patronal. Le Comité des Forges, par exemple, n'est qu'un choc d'egos entre quelques grandes figures, comme Wendel, les Schneider, etc. Leurs intérêts sont souvent divergents. La CGPF n'a été créé en 1919 que sous la pression de l'Etat qui cherchait un interlocuteur unique pour le patronat, face à la CGT.

l'UIMM

On ne peut parler du rôle de l'argent du patronat dans le jeu politique et social, sans parler du Comité des Forges, né en 1864, sous le Second Empire. Les moyens d'influence étaient encore très personnels. A partir de 1887, le Comité des Forges a réellement commencé à organiser une pression politique sous diverses formes : fournir conseil, expertise, inonder de rapports les missions parlementaires ad hoc, éditer un bulletin quotidien, et, de façons plus occultes, financer l'Union des Intérêts Economiques d'Ernest Billet et l'UIMM.

L'UIMM naît, contrairement aux autres organisation professionnelles de défense d'intérêts catégoriels, à des fins politiques, pour faire pression, combattre un projet d'Alexandre Millerand qui visait à instaurer des Comités du Travail à l'intérieur des entreprises, pour créer un véritable dialogue social. L'UIMM a progressivement pris de plus en plus de place au sein de la CGPF, organisation patronale, née en 1919. L'UIMM a l'argent et finance alors, par le truchement d'organisations intermédiaires, les campagnes électorales.


"Il était de notoriété publique, lorsque j'ai été élu en 1981, que le CNPF était
au-dessus de tout soupçon, clair, vérifié, alors que les fédérations
professionnelles relevaient de la loi Waldeck-Rousseau du 21 avril 1884, loi qui
permettait la théorie dite de la lessiveuse - on met des billets dans une
lessiveuse et on les met dans la poche des pauvres ouvriers analphabètes (à
l'époque) par l'entremise de syndicats vertueux, de la main à la main. Tout ceci
pouvait être compréhensible à la fin du XIXème siècle. Ca ne l'était plus du
tout à la fin du XXème, et c'était devenu inadmissible au XXIème siècle. (...)
Cet argent était clairement fait pour financer les syndicats, et c'était comme
ça depuis 123 ans. (...) Et à mon époque aussi ! (...) Cet argent provient des
cotisations des entreprises. C'était un moyen de financement pas clair du tout,
tout à fait glauque, inavoué et tacite. C'était l'omerta. Personne ne devait le
savoir. Il fallait bien qu'un jour ça éclate !"
[Yvon Gattaz, ancien président du CNPF, France Inter, 16 octobre 2007]


Influence des politiques ?

Sous la IIIème République, il est incontestable que le plus gros du financement va vers le monde politique : parti, candidats aux élections, les parlementaires. Jusqu'en 1990, il n'y avait aucun véritable financement organisé ; jusque là, il fallait que les partis vivent, que les candidats puissent faire leur campagne alors qu'il n'y avait pas d'argent. Tout un circuit d'argent caché se mettait forcément en place. Tout ça a éclaté avec les bureaux d'études qui finançaient le parti socialiste - tous les partis bénéficiaient de ce type de financement occulte - Urba, Sages, etc. Aux élections de 1919 et 1924, le programme économique des partis centristes était directement dicté par l'Union des Intérêts Economiques, comme condition nécessaire au financement des partis.

Il ne faut cependant pas exagérer l'influence que tout cela pouvait avoir sur le monde politique. Cela ne faisait pas des députés des pantins. Il bien distinguer cela de la corruption, lorsque de l'argent dissimulé servait à obtenir d'un responsable politique une décision favorable à un intérêt privé - du type du scandale de Panama où 104 "chéquards" ont touché de l'argent de la Compagnie de Panama - ou bien Stavisky (http://www.cinemovies.fr/fiche_film.php?IDfilm=15185 à voir !). A partir de 1902, et des élections du Bloc des Gauches, il y a un renouvellement des parlementaires qui se trouvent alors plus éloignés des milieux d'affaires, issus de couches moyennes.


Une presse corrompues

Les journalistes de la presse économique et financière de l'époque étaient réputés pour être corruptibles et corrompus. En 1931, le Comité des Forges et le Comité des Houillières de France ont mis la main sur le Temps, le grand journal de référence sous la IIIème République. En complément, toute une presse de ragots liée aux milieux d'affaires louches s'est développée dans l'Entre-Deux-Guerres, qui venait fausser le jeu de la démocratie. La Résistance en avait bien conscience et a contribué a redresser le niveau de morale de la presse dès 1944 en punissant la diffamation, notamment grâce à l'ordonnance du 6 mai 1944 de Paul-Henri Teitgen, ministre de l'information de de Gaulle à la Libération, cherchant "à soustraire les journaliste des pressions que l'argent pouvait leur faire subir." La concentration actuelle des groupes de presse dans les mains de quelques industriels, l'intrusion de publicités rédactionnelles, sont sans commune mesure avec le niveau de corruption de la presse de l'avant-guerre. L'argent du patronat n'a pas pour autant cessé de s'occuper de la presse écrite. Par exemple, en 1956, quatre grandes entreprises lancent le Temps de Paris pour susciter un rival au Monde, dont elles désapprouvaient les positions dans le domaine international - ex. le non-alignement sur la politique américaine. Plus tard, en 1977, le quotidien J'informe, lancé par Joseph Fontanet, a été fondé pour lutter contre l'union de la gauche et financé par de grandes organisations professionnelles.


Beaucoup de bruit pour rien

Finalement, l'une des grandes questions est celle de la mesure de l'influence de patronat sur la politique : est-ce que l'argent d'origine patronale a contribué de façon décisive à transformer la décision politique, le jeu démocratique ?

Le bilan serait probablement négatif. D'une part le monde patronale a longtemps été désorganisé et divisé. Les initiatives des uns annulaient les initiatives des autres, par exemple, protectionnistes contre libre-échangistes. D'autre part, cette mobilisation des finances patronales n'empêche pas le cartel des gauches d'arriver au pouvoir en 1924, le Front Populaire, en 1936. C'est toute l'ambigüité, la difficulté de cerner l'influence du patronat en général, de l'UIMM en particulier. C'est finalement un réflexe de bon capitaliste que de rendre transparente et de reclasser une organisation non rentable.

Lecture recommandée si vous êtes intéressés : les essais de JeanGarrigue, en particulier Les patrons et la politique (http://livre.fnac.com/a1217095/Jean-Garrigues-Les-patrons-et-la-politique?Mn=-1&Ra=-1&To=0&Nu=11&Fr=3)